Vivent les vieilles dames !

Vieille femme en prière, Nicolaes Maes, c. 1650-60. Huile sur toile, 132 x 111 cm.
(Vieille femme en prière, Nicolas Maes, 1634-1693)

L’année liturgique ouverte par l’avent est consacrée, cette fois-ci, à la vie consacrée. Les articles de presse se multiplient sur les communautés religieuses, leur spiritualité propre, leur charisme, leur mission. Immanquablement apparaît la question des vocations religieuses, du nombre d’entrées dans les maisons religieuses. Ici, souvent, on se fait plus discret, et lorsque l’on veut parler des communautés qui marchent, on pense, en général, aux communautés charismatiques ou proches de ce mouvement, et aux communautés traditionalistes. 

On lit, sur les forums internet, dans les articles de presse, dans les essais des sociologues, que les communautés nouvelles, charismatiques ou traditionalistes ont le vent en poupe et incarnent le renouveau dans l’Eglise de France, quasiment à elles seules. Ainsi les magazines chrétiens ne tarissent pas d’éloges pour la Communauté Saint-Martin, les frères et sœurs de Saint-Jean, la Communauté de l’Emmanuel, le Chemin Neuf, les fraternités monastiques de Jérusalem, les sœurs de Bethléem, l’Institut du Christ-Roi souverain prêtre, la Fraternité sacerdotale saint Pierre, l’Institut du Bon Pasteur, les Chanoines réguliers de la Mère de Dieu, les sœurs de la Consolation du Sacré-Cœur de Jésus-Christ, les bénédictins de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, etc. La liste est longue de ces communautés fondées après 1970, certaines dans les années 1990 et 2000, et qui aujourd’hui essaiment, fondent, portent le renouveau dans les paroisses ou les villes.

Mais le succès tout récent de ces communautés fait oublier la discrète voie de redressement empruntée par des communautés vénérables, parfois presque millénaires. Leur ancienneté ne les prive pas de vie, et on arrive bien à tirer du bon vin de ces vieilles outres…

Prenons-en quelques-unes, enracinées territorialement et chargées d’histoire :

– Les chanoines de l’ordre des Prémontrés, fondés par saint Norbert au XIIe siècle, présents en Normandie à Mondaye, au cœur du Bessin, depuis le XIIIe siècle, après avoir failli disparaître durant la Révolution avec la confiscation de leurs biens, puis une nouvelle expulsion en 1902 vers la Belgique, et après avoir connu une période de déclin après les années 1970, la communauté canoniale est actuellement en plein essor. Toutes les générations se côtoient dans les murs de l’abbaye, du novice de vingt quatre ans à l’octogénaire. La restauration des bâtiments partiellement ruinés en 1944 par les bombardements, le renouveau de la liturgie, le dynamisme des chanoines attirent les familles du Bessin. Il faut avoir assisté, au moins une fois, aux Rameaux dans l’abbaye, emplie à craquer de fidèles entourant leurs chanoines. Il faut avoir vu, au petit jour, les chanoines prendre leur voiture et filer vers leurs apostolats. Ils sont le poumon spirituel de Bayeux. On les trouve dans les aumôneries de jeunes et les paroisses de campagne, et par eux souffle toujours la vieille règle de Saint-Augustin. Au rythme de son renouveau, Mondaye a essaimé, en reprenant en 1994 le prieuré de Sainte-Foy de Conques, sur les chemins de Saint-Jacques, les prémontrés de Frigolet ne pouvant plus assumer cette charge. En 1998 ils se sont installés au prieuré de Laloubère près de Tarbes. En France, alors que fatigue la vieille abbaye de Frigolet, c’est un renouveau de l’ordre auquel nous assistons, par Mondaye.

– Les dominicains de la province de Toulouse font également figure de ressuscités. L’ordre des frères prêcheurs remonte au XIIIe siècle également, tout comme les prémontrés, il est fidèle à l’antique règle de saint Augustin. Dispersés à la Révolution, les dominicains furent fondés de nouveau par le RP Lacordaire, au milieu du XIXe siècle. Frappé durement par la crise des années 1970 (on se souvient du drapeau rouge flottant sur le couvent du Saulchoir), l’ordre a relevé la tête. La province de France n’a pas encore pansé toutes ses plaies, mais la petite province de Toulouse, par son dynamisme, trompe le monde sur la faiblesse de ses effectifs. Jeune, avec une moyenne d’âge des frères autour de la quarantaine, avec ses quatre à six nouvelles entrées par an, elle est la cheville ouvrière du pèlerinage du rosaire, à Lourdes, elle multiplie les apostolats auprès de la jeunesse, partout où se trouvent ses couvents, à Marseille, à Nice, à Bordeaux, à la Sainte-Baume, etc. Elle anime la Revue thomiste, fondée en 1893 et dont elle assure la continuation. Elle est à l’origine, surtout, de projets nouveaux, comme l’Institut Saint-Thomas d’Aquin, centre d’études adossé à la Catho de Toulouse et le Collège universitaire Saint-Dominique, à Bordeaux, organe indépendant délivrant des cours aux religieux et laïcs sur des questions culturelles contemporaines à l’aune de la tradition philosophique et théologique.

– Les bénédictins de Solesmes, installés par Dom Guéranger, refondateur de l’ordre au XIXe siècle en France, plus discrets car contemplatifs, ne manquent pas de vocations et, avec leurs frères de l’abbaye de Fontgombault, fidèles, chacun à leur manière, à la règle de Saint-Benoît et à la beauté de la liturgie grégorienne, rendent la vie à des maisons bénédictines françaises, américaines et belges. Ils sont des centres de prière pour le monde et des maisons d’accueil pour tous les fidèles. Dans les communes où ces abbayes sont installées, elles sont devenues ou redevenues des institutions incontournables. Discrètement, sans un mot de trop, elles ré-évangélisent leurs provinces immédiates. A Solesmes comme à Fontgombault, c’est à chaque fois une soixantaine de moines qui résident en permanence. Autour de ces deux abbayes, Triors, Randol, Kergonan, Ligugé sont autant de filles ressuscitées. Certaines sont de très vieilles fondations, d’autres ont vu le jour dans les quarante dernières années, toutes ont en commun de compter plusieurs dizaines de moines, de tous les âges, réinstallés depuis le dernier demi-siècle dans les murs pour la gloire de Dieu.

– Enfin, les moins connues sont les sœurs de l’Annonciade, dont l’habit rouge et gris voilé de noir avec une guimpe blanche reste unique en son genre. Fondées par sainte Jeanne de France, épouse répudiée de Louis XII, au XVIe siècle, elles connaissent depuis quelques décennies un tel renouveau français que le magazine l’Homme Nouveau a cru bon de leur consacrer sa une récemment, dans le cadre de l’année de la vie consacrée. Implantées à Villeneuve-sur-Lot, à Thiais dans un couvent des plus modernes, elles sont en train de bâtir aux abords de Caen un nouveau monastère, dont la première pierre a été posée au mois d’octobre 2014.

Quel est le point commun de ces communautés ? On retrouve, chez toutes, une grande fidélité à la règle de leurs fondateurs, à la vie de prière, à la vie sacramentelle, à la beauté de la liturgie et à l’esprit de mission, qui peut fort bien s’accomplir chez des contemplatifs accueillant comme les bénédictins. Toutes magnifient la place du prêtre et ne transigent pas sur les vérités de la foi. En somme, avec leurs particularités qui en font des communautés à la fois de leur siècle de fondation et de leur temps actuel, elles plongent toutes leurs racines dans la tradition bimillénaire de l’Eglise et s’abreuvent à la source, directement.
Sans doute est-ce là le secret de leur réussite ; une vie religieuse sans affadissement, une vie exigeante et visible de tous.

Ces communautés ont inspiré, d’une manière ou d’une autre les communautés nouvelles, qui ont fondé le plus souvent leur succès sur la beauté liturgique, la place centrale des consacrés, la qualité de leurs enseignements, l’intensité de leur vie spirituelle et le maintien d’antiques piétés populaires comme le chapelet. Au cœur des années 1970, quand on abandonnait le chapelet, l’adoration du Saint-Sacrement, la confession, les processions de la fête-Dieu ou du 15 août, les pèlerinages paroissiaux ; les communautés nouvelles, en maintenant ou rétablissant ces pratiques se sont tracées un sillage profond dans lequel les fidèles les plus assoiffés les ont largement suivis. Mais la tradition canoniale, la règle de saint Augustin, la beauté du grégorien étaient déjà portées par d’autres communautés, plus discrètes et dont la vieille sagesse a infusé dans les communautés nouvelles avant de se répandre à nouveau dans les clergés diocésains oublieux et maintenant largement renaissant.
L’immense famille de l’Eglise fait ainsi peau neuve avec de vénérables vieilles dames. Rendons hommage à nos vieilles chouettes ! Nous leur devons tant. Et si demain l’Eglise de France parvient à sortir de la lente agonie où elle semble plongée, ce sera grâce à leur esprit.

 

Laisser un commentaire

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Retour en haut ↑