Traditionis custodes : Quelques réflexions libres




La promulgation, par le souverain pontife, du motu proprio Traditionis custodes, est un acte de gouvernement de l’Eglise d’une grande fermeté, motivé par le souci de l’unité du peuple de Dieu, mais dont les conséquences pourront être multiples.

Dans la situation nouvelle, l’évolution de la cartographie de la célébration de la messe selon la forme extraordinaire du rite romain est totalement figée. Il n’y aura plus de nouvelles paroisses personnelles dédiées à cette forme du rite romain, il n’y aura plus de nouveaux groupes stables de fidèles, et les groupes déjà existants devront faire preuve de leur attachement réel à l’enseignement constant de l’Eglise, y compris intégrant le deuxième concile du Vatican et le magistère successif. Les prêtres seront soumis à la même exigence, et ne pourront célébrer selon cette forme du rite qu’avec l’autorisation de leur évêque.

Ces décisions, si elles sont appliquées fermement et sans nuance, et imposées à des groupes rétifs, risquent fort d’engendrer des situations de schismes dans plusieurs diocèses. Ces décisions posent également la question des séminaires et des maisons religieuses attachés à la forme extraordinaire du rite romain à l’exclusion de la forme ordinaire.

Cet attachement exclusif sera certainement questionné et remis en cause, comme cela avait déjà été le cas au début des années 2000, ce qui avait engendré notamment des départs de prêtres et séminaristes au sein de la FSSP, préférant rejoindre des diocèses ou des communautés biformalistes.

C’est peut-être donc une longue nuit qui commence.

Il convient cependant de retenir les raisons qui ont poussé le pape à agir. Le pape François, en effet, regrette le raidissement de nombreuses communautés de fidèles et de prêtres contre l’enseignement de l’Eglise et le deuxième concile du Vatican. Il regrette également que les mains tendues de ses prédécesseurs n’aient pas été saisies, et aient été simplement vécues avec un triomphalisme conquérant.

Le pape en sait quelque chose, considérant l’absence d’effet concret en vue d’une pleine réconciliation de ses mesures prises durant l’année de la miséricorde en faveur de la FSSPX, qui a obtenu le droit de confesser, marier et célébrer la messe licitement, sans que ses dirigeants n’aient, à aucun moment, saisi cette occasion pour normaliser leur situation canonique au sein de l’Eglise.

Il en sait également quelque chose, lui qui a essuyé les plus violentes attaques contre son enseignement magistériel sur l’écologie, et sur le mariage, dans les rangs de fidèles et de prêtres issus de communautés traditionnalistes. Lesquels ont superbement ignoré ses autres enseignements plus classiques sur la sainteté, la foi, et la défense de la vie.
Quiconque a déjà fréquenté ou fréquente régulièrement des fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain sait que la messe dans sa forme ordinaire y est souvent tenue en piètre estime, et qu’il n’est pas rare que des évêques, des prêtres, voire le pape lui-même soient moqués et critiqués. Le deuxième concile du Vatican y est, de même, assez souvent vu avec suspicion, et toute novation dans la vie de l’Eglise est d’abord perçue avec crainte, plus qu’avec confiance.

Ces réalités ont été nettement perçues par le pape François. Elles expliquent cette très dure mesure de gouvernement prise par lui.

Pour autant, il faut également essayer de comprendre, notamment dans le contexte français qui nous occupe plus particulièrement, les raisons du choix fait par tant de fidèles, non pas seulement de la forme extraordinaire du rite romain, mais aussi d’un catéchisme et de toute une vie sacramentelle et de prière organisée autour de cette forme du rite. Pour beaucoup de fidèles, nés dans ce courant ou venus à lui, le traditionalisme est un refuge où l’harmonie, l’intériorité, la verticalité de la royauté divine sont spécialement recherchés. La qualité académique du catéchisme, la rigueur des enseignements, la piété à la messe et les dévotions populaires nombreuses sont également recherchés, car ailleurs, ils font trop souvent défaut.

Le traditionalisme, en ce sens, a été, et est encore, une des nombreuses réponses fournies contre la crise que le corps ecclésial et le peuple de Dieu ont traversé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et dont les années 1960-1970 ont été le point culminant. (Les communautés nouvelles charismatiques comme le Chemin neuf, ou plus conservatrices, comme la CSM, ont été d’autres réponses dans cette profusion de créations qui ont permis bon an mal an à un nombre important de fidèles de traverser la crise et porter des fruits nouveaux.)

Cette crise a engendré des blessures, des déchirures, et le constat dressé par le pape François montre que ces blessures n’ont jamais été tout à fait guéries. Cela est su de tout le monde, mais l’audace du pape est de montrer la plaie au grand jour et de vouloir la cautériser au fer rouge.

Les mouvements traditionalistes ont fortifié dans la foi de nombreuses familles, formé des milliers de prêtres dans le monde, donné un élan missionnaire nouveau dans certains diocèses. L’Eglise leur doit beaucoup. Cela ne doit pas pour autant masquer les profondes déchirures et les problèmes non résolus, soulevés par ce motu proprio.
Alors que faire ?

Le fidèle de base ne peut pas faire grand chose, si ce n’est se tourner vers ses évêques et vers les supérieurs de communautés traditionalistes, afin de les supplier, puisque le pape a totalement rendu aux successeurs des apôtres la charge de traiter cette question, afin de les supplier, donc, de trouver en chaque lieu des voies d’entente qui constitueront une occasion fabuleuse de réaliser enfin l’unité demandée par le pape.
Quelles voies peuvent être espérées ?

– Celle du partage d’une vie commune, dans les mêmes presbytères, entre clergé de congrégations traditionalistes et clergé diocésain, afin de faire naître une vie de prière et une vie cléricale commune, permettant aussi d’unifier les regards de pastorale et de foi souvent distincts.

– Celle du partage de mêmes clochers, avec une vie paroissiale commune, en-dehors de la distinction liturgique, entre les communautés de fidèles attachées à la messe dans sa forme extraordinaire et celles attachées à la messe dans sa forme ordinaire. (les expériences, peu nombreuses, menées en ce sens, n’ont jamais vraiment abouti. Sans doute est-ce une occasion nouvelle.)

– Celle de l’acceptation du biformalisme réel, et de la concélébration lors de la messe chrismale pour les prêtres qui, pour l’instant, refusent de dire la messe dans la forme ordinaire. Cette réalité du biformalisme serait d’ailleurs la meilleure voie pour confier à des prêtres issus de communautés traditionalistes des paroisses complètes, opportunité fabuleuse pour l’Eglise qui a grand besoin de ces prêtres dynamiques, enthousiastes et rigoureux.

Ces voies seraient sans doute des manières concrètes d’enrichir la forme ordinaire, si souvent mal célébrée, ainsi que le regrette lui-même le pape dans la lettre accompagnant son motu proprio, et d’enrichir la pastorale ordinaire des diocèses. Bien sûr, cela ne se ferait pas sans accroc ni heurts dans les premières années, mais avons-nous d’autres choix ?

Le décret pontifical nous impose, pour l’instant, cette voie étroite d’une coopération dynamique entre personnes de bonnes volontés, pour éviter les schismes qui fleuriront de toutes parts si des évêques abrupts imposent leur pouvoir à des abbés raides. Cette voie étroite est peut-être cependant celle du retour à l’unité, espérée par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Cela, l’avenir nous le dira.

Il n’y a qu’une seule certitude pour l’heure : dans cette nuit qui s’abat soudain, les fidèles et les prêtres traditionalistes ont une chance unique d’être le puissant levain au coeur de la pâte des églises diocésaines, s’ils veulent bien emprunter cette voie. C’est aussi une chance unique de purifier leurs coeurs et leurs intelligences des défiances et des jugements qui les habitent trop souvent. S’ils ne le veulent point, il y aura alors tout à craindre, et notamment l’effondrement de cette oeuvre de transmission des rites et de la foi, opérée depuis tant d’années par ces communautés.

Prions enfin pour nos évêques, afin qu’ils aient le coeur large et la volonté ferme.

Un commentaire sur “Traditionis custodes : Quelques réflexions libres

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  1. Comme le disait le prince de Salina dans « Le Guépard », « Il faut que tout change pour que rien ne change. »Rien ne changera, croyez-moi, et certainement pas au moyen d’un motu proprio, lequel, annulant le précédent , ne tardera pas à être annulé lui-même. En tant que catholique, suisse, on ne me parle pas sur ce ton. J’attends d’un pape qu’il soit autre chose que brutal, colérique et autoritaire.

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